Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Matthieu Ricard.

11 Décembre 2013, 08:51am

Publié par pam

INTRODUCTION. Extraits. Suite.

Notre époque est confrontée à de nombreux défis. L'une de nos difficultés majeures consiste à concilier les impératifs de l'économie, de la recherche du bonheur et du respect de l'environnement (court, moyen et long terme… nos intérêts, ceux de nos proches, ceux de tous les êtres).

Ceux qui vivent dans l'aisance rechignent à réduire leur train de vie pour le bien des plus démunis et pour celui des générations à venir, tandis que ceux qui vivent dans le besoin aspirent légitimement à davantage de prospérité, mais aussi à entrer dans une société de consommation qui encourage l'acquisition du superflu.

La satisfaction de vie se mesure, elle, à l'aune d'un projet de vie, d'une carrière, d'une famille et d'une génération. Elle se mesure aussi à la qualité de chaque instant qui passe, des joies et des souffrances qui colorent notre existence, de nos relations aux autres ; elle s'évalue en outre par la nature des conditions extérieures et par la manière dont notre esprit traduit ces conditions en bien-être ou en mal-être.

Quant à l'environnement, jusqu'à récemment, son évolution se mesurait en termes d'ères géologiques, biologiques, climatiques, de dizaines de millénaires, sauf lors de catastrophes planétaires dues à l'impact d'astéroïdes géants ou d'éruptions volcaniques. De nos jours, le rythme de ces changements ne cesse de s'accélérer du fait des bouleversements écologiques provoqués par les activités humaines. C'est la première ère ("Anthropocène", l'ère des humains) dans l'histoire du monde où les activités humaines modifient profondément (et pour l'instant, dégradent) l'ensemble du système qui maintient la vie sur terre.

Pour nombre d'entre nous, la notion de "simplicité" évoque une privation, un rétrécissement de nos possibilités et un appauvrissement de l'existence. Pourtant l'expérience montre qu'une simplicité volontaire n'implique nullement une diminution du bien-être, mais apporte au contraire une meilleure qualité de vie. Est-il plus plaisant de jouir du contentement d'un esprit satisfait ou de constamment vouloir davantage - une voiture plus coûteuse, des vêtements de marque ou une maison plus luxueuse ?

Le consumérisme immodéré est étroitement lié à un égocentrisme excessif.

Les pays riches, qui profitent le plus de l'exploitation des ressources naturelles, ne veulent pas réduire leur train de vie. Ils sont pourtant les principaux responsables des changements climatiques et autres fléaux affectant les populations les plus démunies, celles dont, précisément, la contribution à ces bouleversements est la plus insignifiante.

Un Afghan produit 2500 fois moins de C02 qu'un Qatari et 1000 fois moins qu'un Américain.

Le patron du plus grand syndicat de la viande aux Etats-Unis est ouvertement cynique : "Ce qui compte, dit-il, c'est que nous vendions notre viande. Ce qui se passera dans 50 ans n'est pas notre affaire".

Or tout cela nous concerne, concerne nos enfants, nos proches et nos descendants, ainsi que l'ensemble des êtres, humains et animaux, maintenant et dans l'avenir. Concentrer nos efforts uniquement sur nous-même et nos proches, et sur le court terme, est l'une des manifestations regrettables de l'égocentrisme.

L'égoïsme est au coeur de la plupart des problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui : l'écart croissant entre les riches et les pauvres, l'attitude du "chacun pour soi", qui ne fait qu'augmenter, et l'indifférence à l'égard des générations à venir.

L'altruisme est le fil qui peut nous permettre de sortir du dédale de ces graves et complexes préoccupations et de relier naturellement les trois échelles de temps (court, moyen, long termes) en harmonisant leurs exigences. Souvent présenté comme valeur morale suprême, l'altruisme n'aurait guère de place dans un monde entièrement régi par la compétition et l'individualisme. Mais dans le monde contemporain, il est plus que jamais une nécessité, voire une urgence. Quelques exemples des bienfaits de l'altruisme : en ayant plus de considération pour le bien-être d'autrui, les investisseurs ne se livreraient pas à des spéculations sauvages avec les économies des petits épargnants qui leur ont fait confiance, dans le but de récolter de plus gros dividendes, ils ne spéculeraient pas sur les ressources alimentaires, les semences, l'eau et autres ressources vitales à la survie des populations les plus démunies. Les décideurs et autres acteurs sociaux veilleraient à améliorer les conditions de travail, la vie familiale et sociale… 1% de la population détiennent 25% des richesses, creusant toujours plus le fossé d'avec les démunis. Ils ouvriraient les yeux sur le sort de la société dont ils profitent. Si nous témoignions de plus d'égards pour autrui, nous agirions tous en vue de remédier à l'injustice, à la discrimination, au dénuement. Nous reconsidèrerions la manière dont nous traitons les espèces animales, les réduisant à n'être que des instruments de notre domination aveugle qui les transforme en produits de consommation.

Enfin, si nous faisions preuve de plus de considération pour les générations à venir, nous ne sacrifierions pas aveuglément le monde à nos intérêts éphémères, ne laissant à ceux qui viendront après nous qu'une planète polluée et appauvrie.

Nous nous efforcerions au contraire de promouvoir une économie solidaire qui donne une place à la confiance réciproque et valorise les intérêts d'autrui. Nous envisagerions la possibilité d'une économie différente, celle que soutiennent maintenant nombre d'économistes modernes, une économie qui repose sur les trois piliers de la prospérité véritable : la nature dont nous devons préserver l'intégrité, les activités humaines qui doivent s'épanouir, et les moyens financiers qui permettent d'assurer notre survie et nos besoins matériels raisonnables (voir Stiglitz, Snower, Layard, Fehr et Bruno Roche).

La plupart des économistes classiques ont trop longtemps fondés leurs théories sur l'hypothèse fausse que les homes poursuivent exclusivement des intérêts égocentriques. Ils ont aussi fait l'impasse que la nécessité pour chacun de veiller au bien d'autrui afin que la société fonctionne harmonieusement.

Contrairement à ce que ressassent les médias, de nombreuses études montrent qu'en cas de catastrophe naturelle ou autre type de drame, l'entraide est davantage la règle que le chacun pour soi, le partage que le pillage, le calme que la panique, le dévouement que l'indifférence, et le courage que la lâcheté.

Qui plus est, l'expérience de milliers d'années de pratiques contemplatives atteste que la transformation individuelle est possible. Cette expérience est maintenant corroborée par les recherche en neurosciences qui ont démontré que toute forme d'entraînement (apprentissage de la lecture ou de la musique par ex.) induit une restructuration du cerveau, tant au niveau fonctionnel que structurel. C'est ce qui se passe également lorsqu'on s'entraîne à développer l'amour altruiste et la compassion.

Les cultures et les individus ne cessent de s'influencer mutuellement. Ils contribueront à faire évoluer leur culture et leurs institutions, et ainsi de suite de sorte que ce processus se répète à chaque génération.

L'altruisme semble donc être un facteur déterminant de la qualité de notre existence, présente et à venir, et ne doit pas être relégué au rang de noble pensée utopiste entretenue par quelques naïfs au grand coeur.

Commenter cet article