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Sobriété heureuse...

1 Février 2015, 17:09pm

Publié par pam

Extraits de " VERS LA SOBRIÉTÉ HEUREUSE." de Pierre Rabhi.

Éditions Babel. 2010.

Nos méthodes de gestion du petit domaine se sont fondées sur des principes écologiques, à l'exclusion de toute nuisance chimique. C'était le refus radical de l'agriculture industrielle, qui ne peut produire sans détruire, ce qui à nos yeux représentait une exaction majeure contre la terre nourricière, la nature et les êtres humains.

Les pesticides affectent toutes les ramifications du système vivant, jusqu'à atteindre l'être humain par son alimentation dénaturée.

Ainsi le principe de sobriété que je prône n'est pas un principe de circonstance, il vient d'une conviction intrinsèquement liée à un choix de vie.

Cette vie est à l'évidence un chemin initiatique ascendant.

Les efforts révolutionnaires des mouvements de protestation, comme celui de 1968, ont souvent été réduits à néant ou à la portion congrue par la confusion de la désinvolture et de la liberté, elle-même assimilée au refus de toute contrainte. Une vision rationnelle et objective est en fait indispensable pour satisfaire aux besoins matériels.

Option de l'autolimitation réussie car la sobriété est une force.

Le système est fait de telle sorte que si l'on prend comme référence, dans la hiérarchie de l'avoir, les besoins vitaux les plus légitimes, il y a beaucoup de capitalistes qui s'ignorent. On peut dire en toute logique que, sitôt après avoir satisfait aux nécessités vitales de base, indexées sur le niveau élémentaire de survie (nourriture, eau potable, abri, vêtements, soins pour tous), et qui sont loin d'être couverts sur la planète, on passe dans le domaine du superflu et de l'accumulation sans équité ni limites.

Tant qu'un seul enfant naît dépourvu de ce qui lui revient légitimement en tant qu'être vivant, il y a usurpation car les biens venus de la terre, qui sont encore abondants, sont dédiés à tous les êtres vivants qu'elle héberge et non à ceux qui, par le pouvoir politique, la loi du marché, les finances ou les armes, s'en attribuent la légitimité. Un tel hold-up est aujourd'hui entériné par des lois qui en font une norme que l'on ne peut remettre en question. Tant que cette malhonnêteté ne sera pas considérée comme illicite selon l'ordre et l'intelligence de la vie, l'humanité ne pourra être pérenne. Ainsi, misère, pauvreté et richesse cohabitent sur notre planète commune et créent des hiérarchies de l'avoir et du pouvoir débouchant sur toutes les répressions - le tout imitable à l'idéologie du toujours plus illimité.

Consommer, au risque de toutes les obésités physiques et psychiques, est de fait une sorte de devoir civique, reposant sur une manière d'ascèse inversée, où insatiabilité et insatisfaction alternées constituent les deux mamelles de l'économie. Gratitude, modération, pondération sont les sentiments et vertus qu'Homo economicus, rouage d'une gigantesque machine mondiale, doit résolument abolir, car ils sont dangereux pour le métabolisme de la pseudo-économie qui tient le monde à la gorge. Comment définir alors ce que devrait être la sobriété ? D'autant que l'on sait aussi que, sans l'aide sociale de l'Etat et des organisations caritatives, une plus grande partie encore des citoyens des pays dits développés seraient dans un état de misère insoutenable. Cette situation mène inexorablement au surendettement de familles, qui s'ajoute à celui des Etats et d'un nombre toujours grandissant d'institutions communales, départementales, régionales… Ce que l'on n'ose appelé "récession" n'a pas besoin d'être nommé pour exister dans les faits.

Les défaillances et les incompétences sont telles que des révoltes incontrôlables, de plus en plus violentes, vont à l'évidence se multiplier en s'amplifiant si la gouvernance mondiale persiste à entretenir la logique inhumaine qui produit souffrance et indifférence.

Il est évident que, pour les catégories les plus pénalisées, le principe de sobriété n'a aucun sens et pourrait légitimement être interprété comme une provocation, ou de la dérision.

Je prône la sobriété heureuse comme une sorte d'antidote à la société de surabondance sans joie dans laquelle les pays dits développés se sont enlisés.

"La seule économie qui vaille est celle qui produit du bonheur avec de la modération." Roegen, économiste roumain.

Au train où va leur prélèvement par une minorité acquise au credo de la croissance indéfinie, et de toujours plus de finance, l'épuisement des ressources évolue selon une courbe exponentielle. En choisissant le modèle de développement responsable du désastre, les pays émergents contribuent à accélérer un processus qui ne peut qu'être fatal à l'espèce humaine.

En même temps que le réenchantement du monde que nous aurons à accomplir, la beauté étant à l'évidence une nourriture immatérielle absolument indispensable à notre évolution vers un humanisme authentique, nous devons également et impérativement trouver une façon juste d'habiter la planète et d'y inscrire notre destin d'une manière satisfaisante pour le coeur, l'esprit et l'intelligence. Seule la beauté qui s'épanouit en générosité, équité et respect est capable de changer le monde, car elle est plus puissante que toutes les beautés créées de la main de l'homme, qui, pour foisonnantes qu'elles soient, n'ont pas sauvé le monde et ne le sauveront jamais. En réalité, il y a va de notre survie. Le choix d'un art de vivre fondé sur l'autolimitation individuelle et collective est des plus déterminants ; cela est une évidence.

Le modèle de société destructeur qui s'est imposé sur toute la planète n'est pas "rafistolable". S'acharner à le maintenir, comme le fait la gouvernance du monde, est vain et ne fait qu'en prolonger l'agonie. Les effets désastreux induits ne cessent de s'amplifier.

Les évolutions climatiques, écologiques, économiques et sociales, prévisibles comme imprévisibles, nécessitent une créativité sans précédent. Partant d'un art de vivre personnel, nous sommes impérativement invités à travailler à la sobriété du monde.

Les biens absolument vitaux que recèle notre planète doivent être protégés par une réglementation spécifique. Il faudrait voter des résolutions radicales pour en préserver l'intégrité.

Sobriété heureuse...
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