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au sujet du voyage....

16 Juillet 2013, 07:01am

Publié par pam

Michel Onfray "Théorie du voyage".

RENCONTRER SA SUBJECTIVITÉ.

Soi, voilà la grande affaire du voyage. Des prétextes, des occasions, des justifications, certes, mais, en fait, on se met en route mû seulement par le désir de partir à sa propre rencontre dans le dessein, très hypothétique, de se retrouver, sinon de se trouver. Les trajets des voyageurs coïncident toujours, en secret, avec des quêtes initiatiques qui mettent en jeu l’identité. Là encore, le voyageur et le touriste se distingue radicalement, s’opposent définitivement. L’un quête sans cesse et trouve parfois, l’autre ne cherche rien, et, par conséquent, n’obtient rien non plus.

Le voyage suppose une expérimentation sur soi qui relève des exercices coutumiers chez les philosophes antiques : que puis-je savoir sur moi ? Que puis-je apprendre et découvrir à mon propos si je change de lieux habituels, de repères, et modifie mes références ? Que reste-t-il de mon identité dès la suppression des attaches sociales, communautaires, tribales, quand je me retrouve seul, ou presque, dans un environnement sinon hostile, du moins inquiétant, troublant, angoissant ? Que subsiste-t-il de mon être dès soustraction des appendices grégaires ? Quid du noyau dur de ma personnalité devant un réel sans rituels ou conjurations constituées ? Le grand détour par le monde permet de se retrouver, soi, tel qu’en nous-même l’éternité nous conserve.

au sujet du voyage....

Pas de haine de soi, ni de célébration de soi, mais une juste estime qui permet de travailler sur son être comme sur un objet étranger. Tout voyage est initiatique - pareillement une initiation ne cesse d’être un voyage. Avant, pendant et après se découvrent des vérités essentielles qui structurent l’identité.

Certains se déplacent pour expier leur existence et transportent leur malaise pour tâcher de s’en défaire. Les amateurs de sensations plus que fortes, qui éprouvent le corps sur le principe de la punition, transfigurent le voyage en chemin de croix. Le voyage procède moins de l’ascension du Golgotha que de l’invite socratique à se connaître. La douleur ne présente aucune utilité dans ce processus de découverte de soi. On ne sait rien d’essentiel sur son intimité en retournant la pulsion de mort contre soi et en tâchant de transfigurer de mouvement en esthétique de la souffrance. La négativité suffit dans les doses injectées naturellement par le réel pour qu’on n’ait pas besoin d’ajouter à cette énergie mauvaise. Le défi dans le voyage à performance, la plupart du temps, cache mal les intentions masochistes d’une âme en peine - ou plutôt d’un inconscient en souffrance.

au sujet du voyage....

L’entreprise socratique ne nécessite pas l’usage de soi comme d’une chose, d’un objet ennemi. L’estime de soi, à ne pas confondre avec l’amour, la vénération ou la complaisance à son endroit, installe sous les meilleurs auspices, aux antipodes de l’idéal ascétique. Le voyage résume la possibilité d’esthétisation de l’existence dans des circonstances incarnées. De la sorte, il entre dans la composition d‘une ascèse métaphysique et conduit sur la voie qui mène à l’appropriation joyeuse et heureuse de sa vie. Au centre du voyage, on ne repère rien d’autre que le moi. Autour, le monde s’organise, se donne en spectacle, se montre et se raconte, mais comme les planètes en gravitation autour d’un astre occupant le milieu.

À l’évidence, on n‘évite pas sa propre compagnie, pour d’aucuns, la pire. Ce que l’âme embarque au départ se retrouve à l’arrivée, décuplé. On ne guérit pas en faisant le tour du monde, au contraire, on exacerbe ses malaises, on creuse ses gouffres. Loin d’être une thérapie, le voyage définit une ontologie, un art de l’être. Partir pour se perdre augmente les risques, devenus considérables, de se retrouver face à soi, pire : face au plus redoutable en soi.

Le réel n’existe pas en soi, dans l’absolu, mais perçu. Ce qui à l’évidence, suppose une conscience pour le percevoir. Ce filtre dans lequel passe le monde organise la représentation et génère une vision. Pour son essence, l’être du monde procède de l’être qui le regarde.

On ne voyage pas pour se guérir de soi, mais pour s’aguerrir, se fortifier, se sentir et se savoir plus finement.

Hors de son domicile, dans l’exercice périlleux du nomadisme, le premier voyageur rencontré, c’est soi. L’étrangeté du monde condamne à se satisfaire de la familiarité la plus immédiate, celle que tout un chacun entretient avec son tréfonds. Dans un pays inhabituel, la bête inquiète en nous prend le dessus, elle entend une voix incompréhensible, elle évolue dans un espace dépourvu de repères, elle expérimente la différence qui isole, coupe et sépare, puis met à part et exclut. Tragiquement l’être ne peut déborder l’identité qui le contient. À l’étranger, cette identité flotte, sans attaches, sans points de repère. Sur son trajet, on rencontre un autre que l’on ne reverra probablement pas, une altérité gratuite, une pure altérité. Dans ce jeu, avec un temps suspendu, des fragments d’inconscient habituellement tus remontent à la surface et produisent des effets : angoisse ou enthousiasme, repli ou épanchement, effroi ou emballement. Dans tous les cas, une dynamique travaille vivement l’âme et lui interdit le repos.

Les philosophes de l’Antiquité grecque savaient la fonction formatrice du déplacement. Aller d’un point à un autre, hier comme aujourd’hui, relève moins de l’expérience historique ou géographique que de l’expérience ontologique et métaphysique.

au sujet du voyage....

ENVISAGER UNE SUITE.

Se savoir nomade une fois suffit pour se persuader qu’on repartira. La passion du voyage ne quitte pas le corps de qui a expérimenté les poisons violents du dépaysement, du corps élargi, de la solitude existentielle, de la métaphysique de l’altérité, de l’esthétique incarnée. La vitalité des grands voyageurs me fascine. La quête de soi s’achève au moment du dernier souffle. Jusqu'au bord du tombeau, il s’agit de vouloir encore et toujours la force, la vie, le mouvement.

D’aucuns reviennent de manière compulsive à des endroits déjà visités, retrouvant des habitudes de sédentaires au cœur même de l’expérience nomade. Ces compulsifs me font penser aux prêtres lecteurs leur vie durant du même missel, ignorant la richesse et la variété des bibliothèques. La géographie de la planète vaut d’abord pour la diversité, la différence, la multiplicité. Revoir ici, empêche de voir ailleurs, stationner de manière répétée, même aux antipodes, disjoncte les possibilités nomades et les effets violents du voyage sur le corps et l’âme.

Voyager pour pénétrer le mystère et les secrets d’une civilisation conduit à rencontrer des malentendus. L’illusion rationaliste et intellectualiste préside à cette idée, fausse, qu’on peut travailler en profondeur. L’un parcourt la planète et se réjouit du mouvement sur le pourtour de la mappemonde, l’autre s’installe et creuse son trou, il fore un terrier pour y ensevelir son énergie et sa curiosité.

Envisager une suite suppose donc moins la répétition que l’innovation. Les occasions de partir peuvent être aléatoires. Le poème du monde appelle sans cesse des propositions de déchiffrements.

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